
Annie Ross
Le miroir magique
Annie ROSS et le miroir magique
1ère partie
Quand le réveil sonna à 6h30, Annie ROSSE frappa furieusement sur le bouton d'arrêt de l'appareil. Comme chaque matin, le réveil était le moment de la journée qu'elle détestait le plus. Aux yeux d'Annie, il marquait le début de l'enfer : les autres. Les croiser sur le trottoir jusqu'au métro. Puis à l''arrêt du bus, sans parler du trajet, qui la menaient jusqu'à l'Imprimerie, son lieu de travail. Supporter la présence des autres toute la journée, pour ensuite partager sur le chemin du retour les mêmes transports, plein à ras - bord d'une foule aussi dense que celle du matin... Annie ROSSE détestait tout le monde. Mais il était une personne qu'elle détestait plus que les autres : Monsieur ZIEGLER, dit « Doc » par ses clients.
Le « Doc » était venu s'installer il y a peu juste en bas de l'immeuble d'Annie. Ou plutôt, il avait installé sa boutique d'antiquités. Dès la première fois qu'elle l'avait croisé, Annie ROSSE n'avait pu s'empêcher de le détester du plus profond de son cœur. Comme ça, sans raison. C'était ainsi, et Annie n'avait aucune intention de changer d'attitude vis - à - vis de son voisin. Une chose l'énervait par - dessus tout avec le Doc : ce dernier ne semblait pas du tout se rendre compte de la haine que lui vouait Annie. Bien au contraire, il mettait un point d'honneur à la saluer chaleureusement tous les matins, lorsqu'elle descendait pour se rendre à la station de métro la plus proche.
Comme Annie ROSSE avait le courage de ses convictions, elle ne lui répondait jamais, et crachait même parfois sur les petits nains de jardin qu'avait installé le Doc à la devanture de sa boutique. Le soir, en rentrant, elle se plaisait à donner des coups de pied aux nains, au nez et à la barbe du Doc, qui la saluait invariablement avec son grand sourire et ses yeux rieurs. Ses cheveux d'un blanc éclatant formaient une couronne par - dessus son visage bonhomme. Ses clients l'adoraient et sa boutique ne désemplissait jamais, ce qu'Annie n'avait jamais pu comprendre. Quel intérêt pouvait - on trouver à des vieilleries ? Maugréant dans sa barbe, elle remonta prestement les marches de l'escalier en colimaçon jusqu'à chez elle. Son petit appartement se situait au 3e étage de l'immeuble désuet mais authentique. En rentrant, elle poussa un ouf de soulagement : c'était vendredi, et elle n'aurait pas à supporter les autres avant le lundi suivant.
En se changeant pour la nuit, Annie regarda vaguement son reflet dans le petit miroir au - dessus du lavabo de la salle de bain. Son visage, au nez clairsemé de taches de rousseur, et ses cheveux mi - longs aux reflets roux hérités de sa mère avait un certain charme. Annie ne put s'empêcher de détourner bien vite son regard, comme elle le faisait chaque fois qu'elle s'apercevait dans un miroir. Elle ne supportait tout simplement pas son reflet. Secrètement, Annie ROSSE était fan des « livres à l'eau de rose » comme les appelait son père, et aimait se délecter le soir venu d'aventures toutes plus romantiques les unes que les autres, s'imaginant les vivre à la place des héroïnes. La seule fois où elle avait osé s'ouvrir à ses sentiments à celui pour qui battait son cœur remontait à l'époque du lycée. Mais ce dernier, un certain Jimmy TILLIER, bien que l'ayant poliment éconduite, avait ensuite révélé à tout le lycée les sentiments que nourrissait Annie pour lui. Elle fut la risée du lycée toute l'année scolaire durant, et n'osa jamais plus tenter quoi que ce soit auprès de quiconque. Au lieu de cela, elle se renferma encore plus dans sa coquille, et peu à peu, s'enferma tout simplement à l'intérieur. Elle s'éloigna définitivement des rares amis qu'elle avait à l'époque, ne s'en fit pas de nouveaux, et décida même de couper complètement les ponts avec sa famille. Annie ROSSE était une personne seule, et s'évertuait à le rester, tout comme elle se plaisait à détester les autres.
Quelle ne fut sa surprise lorsqu'on sonna à sa porte le dimanche matin ! Personne ne rendait jamais visite à Annie ROSSE. Et encore moins le dimanche. Furieuse de se voir arrachée à sa lecture, Annie hurla, plus qu'elle ne répondit : « J'suis pas là ! Dégagez ! ». Le silence se fit un instant, et elle avait à peine reprit sa lecture, qu'elle fut à nouveau dérangée par la sonnerie. Furibarde, Annie se précipita à la porte et l'ouvrit d'un coup sec, prête à hurler à plein poumons sur l'importun. Au lieu de cela, elle demeura bouche bée : un grand miroir rond en pied lui faisait face. C'est en apercevant son reflet qu'Annie ROSSE se tut : son apparence négligée, et son visage aux yeux presque fous de colère l'insupportèrent tant, qu'elle ne put que se taire. Elle sursauta lorsque le Doc, Monsieur ZIEGLER bondit de derrière le miroir, son éternel sourire aux lèvres.
« Oh pardon Mademoiselle ROSSE, je ne voulais pas vous faire peur », lui dit - il gentiment. Encore sonnée, Annie demeura là, sans bouger. Le doc s'approcha doucement et lui demanda : « Vous allez bien Mademoiselle ? Etes - vous souffrante ? Peut - être devriez - vous vous assoir ? ». Tout en parlant, le Doc s'agitait autour d'elle, cherchant des yeux de quoi faire asseoir la demoiselle. Mais comme il était bloqué par le miroir et Annie, qui ne bougeait toujours pas, il ne put faire grand - chose. Reprenant d'un coup ses esprits, Annie s'exclama : « Que faites - vous chez moi ??? ». Montrant d'un air dédaigneux le miroir, elle ajouta : « Et que fait cette...chose, sur mon palier ?? Ne voyez - vous pas que vous bouchez l'entrée ?? Dégagez - moi ça de là tout de suite, ou j'appelle la police !! ». Le Doc se contenta de regarder silencieusement Annie déblatérer. Quand il put enfin parler, il lui dit encore plus doucement que précédemment : « Je suis désolé de vous avoir importunée Mademoiselle ROSSE. J'ai simplement voulu faire un cadeau. Vous êtes toujours si aimable avec moi, que lorsque j'ai reçu cette belle pièce pour ma boutique, j'ai tout de suite voulu vous en faire cadeau. »
Annie se tint coite un instant : elle avait beau se creuser la tête, elle ne trouvait aucun moment où elle ait manifesté une quelconque gentillesse envers le Doc. C'est pourquoi ce qu'il lui disait la laissait sans voix. Mais sa nature revêche reprenant à nouveau le dessus, elle lui asséna : « Je n'ai besoin d'aucun cadeau. Je n'ai besoin de rien, besoin de personne, et encore moins de vous, Doc ! ». Comme elle avait prononcé avec mépris son surnom, pour la première fois, elle aperçut un éclair de reproche dans les yeux de Monsieur ZIEGLER. Ce dernier se départit bien vite de cette attitude, pour reprendre celle habituelle. Sauf que cette fois - ci, il susurra fermement : « Je ne vais pas vous déranger plus longtemps Mademoiselle ROSSE. Je m'en vais, mais le miroir, lui, restera ici. Il est pour vous. » Puis se rapprochant si près qu'Annie perçut son haleine, il ajouta : « Vous en avez grandement besoin, croyez - moi ». A ces mots, Annie ressentit comme un vertige. Elle perdit l'équilibre, tomba, et sa tête heurta violemment le sol. Elle perdit connaissance.
2ème partie
Annie ne revint à elle qu'au petit matin, le lendemain. Le soleil pointait à peine le bout de son nez, de sorte qu'elle entrevit plus qu'elle ne voyait la pièce. En se redressant, Annie défaillit, tant elle avait mal à la tête. On aurait dit qu'un ensemble complet de bassistes y jouait la partition la plus bruyante et endiablée qui puisse exister. Se remémorant d'un coup les évènements de la veille, le premier réflexe d'Annie fut de se retourner vivement vers sa porte d'entrée, s'attendant à la trouver grande ouverte. A son grand étonnement, il n'en était rien : la porte était fermée. Tirant sur la poignée pour l'ouvrir, elle s'aperçut qu'elle avait été fermée à double tour, ce qu'elle ne faisait jamais. Elle se contentait d'un tour simple, sachant qu'elle ne recevait jamais de visites, et que la porte d'entrée de l'immeuble était équipée d'un boitier à code. Intriguée, Annie tourna la clef, puis, la main légèrement tremblante, ouvrit doucement la porte.
Ses lèvres formèrent un grand « O » de surprise, quand elle découvrit que le miroir avait disparu. Elle s'était effondrée la veille et se souvenait avoir intimer au Doc l'ordre de débarrasser le plancher avec son miroir. Mais elle se souvenait également que ce dernier avait refusé et...un frisson lui traversa tout le corps quand lui revinrent en mémoire les mots qu'il lui avait littéralement soufflé au visage : « Vous en avez besoin », lui avait - il dit. Il s'était visiblement ravisé pensa - t - elle avec soulagement, en refermant la porte. Le temps filait à toute vitesse et malgré son mal de tête, elle devait se préparer pour le travail. Elle longea à vive allure le petit couloir de l'entrée qui menait au salon, réfléchissant à la tenue qu'elle porterait ce jour - là. Mais alors qu'elle arrivait dans le salon, Annie ROSSE sursauta en poussant un hurlement que tout l'immeuble dut entendre : là, en face d'elle, en plein milieu du salon, le miroir trônait fièrement.
Son agacement succéda bien vite à la frayeur qu'elle ressentit. Car oui, elle était furieuse que le Doc n'ait pas respecté sa décision et lui ait imposé la présence de cette vieille relique. Le miroir était en plus particulièrement imposant : il dépassait Annie de trois bonnes têtes, et était bien plus large que le buffet du salon. Le soleil s'était levé et Annie pouvait mieux discerner les objets qui se trouvaient dans la pièce. S'approchant du miroir et l'inspectant sur tous les plans, elle dut bien reconnaitre que c'était une très belle pièce. Il était maintenu par un seul pied taillé délicatement de la forme d'un cœur inversé, si bien qu'Annie se demanda par quelle loi de l'attraction ce dernier pouvait tenir l'ensemble. L'ornement, d'une matière qu'elle n'avait jamais vue auparavant, était d'un bleu vert profond, et le dessin formait un enchevêtrement de vagues qui se rejoignaient à la tête du miroir. Au milieu se trouvait un cercle formé par une dizaine de petits êtres qu'Annie identifia comme des chérubins. Leurs visages exprimaient tous des expressions différentes : joie, peine, tristesse, excitation ou encore horreur et stupéfaction. Elle se demandait pourquoi l'artiste qui avait réalisé une si belle œuvre y avait ajouté ce genre d'expressions, mais son attention fut attirée par un détail qui lui avait échappé jusqu'à maintenant, sans doute à cause du manque de lumière.
Les faisceaux de lumière qui filtraient à travers les rideaux de la pièce venaient lécher l'encadrement du miroir. Ce dernier était gravé d'étranges motifs dorés, et leur scintillement étaient tels qu'Annie se demanda si la dorure avait été réalisée à partir de grains d'or. Les dessins lui rappelaient étrangement des hiéroglyphes semblables à ceux qu'elle avait pu observer lors d'une visite sur le thème de l'Egypte ancienne au musée. Fascinée par leur beauté et la perfection avec laquelle les motifs avaient été réalisés, Annie, sans s'en rendre compte, en vint à faire face au miroir...et y découvrit son reflet. Détournant bien vite le regard, elle eut tout de même le temps de remarquer l'énorme bosse qu'elle avait à la tempe. De nouveau furieuse après le Doc, elle entreprit prestement de déplacer le miroir.
Mais Annie eut beau le pousser en tendant les bras en avant, ou s'y adosser afin de le pousser en arrière, rien n'y fit : pire, le miroir ne bougea pas d'un iota ! Plus elle essayait, moins elle obtenait de résultats, et plus elle se fatiguait. En nage, elle finit par abandonner son projet, et décida de se contenter de le recouvrir d'un linge, en attendant d'en découdre avec le Doc. Ah il allait l'entendre ce vieux schnock ! Elle récupéra un drap dans l'armoire, retourna au salon et le jeta négligemment sur le miroir. Sous ses yeux ébahis, le drap « vibra » comme si le miroir en dessous était mu par quelque champ magnétique invisible, puis s'affaissa au sol. Annie ne croyait ni aux fantômes, ni à tout ce qui n'était pas rationnel. Pour elle, il ne s'agissait que de billevesées et autres crétineries, qu'on racontait aux enfants pour leur faire peur. Elle n'avait jamais cru au Père Noel ni à aucune des histoires que ses parents avaient pu lui raconter enfant. Annie s'enorgueillissait de son esprit cartésien, et méprisait à l'inverse tous ceux qui se montraient sensibles au monde de l'irrationnel, qui n'étaient que des crétins finis de son humble avis. « C'est sans doute un coup de vent » pensa - t - elle, sans pour autant s'empêcher de remarquer que toutes les issues étaient pourtant fermées.
Prenant bien soin de ne pas faire face au miroir afin d'éviter d'y croiser son reflet, elle ramassa le drap, puis l'en recouvrit entièrement de la tête au pied. Cela fait, elle se rendit à la salle de bain afin de se préparer pour le travail. Lorsqu'elle fut prête 15 minutes plus tard et qu'elle attrapa en galopant son sac dans le salon car elle avait du retard, Annie ROSSE fut stoppée net dans son élan. Le miroir lui faisait de nouveau face, le drap retombé à son joli pied. Prise d'un violent coup de colère devant son reflet qu'elle détestait tant, Annie attrapa le livre qui trainait sur le canapé et le balança contre le miroir. Et là, elle ne put en croire ni ses yeux, ni ses oreilles. Le livre se dirigea droit vers le miroir, mais au lieu de l'atteindre, il s'arrêta à quelques millimètres de ce dernier, avant de s'effondrer au sol. Une vibration sourde retentit dans la pièce. « Comme un son qui vient d'en bas », pensa Annie. Les yeux vers le miroir, elle réalisa pour la première fois que le tain dont était recouvert ce dernier dégageait à la lumière du jour une sorte de voile vaporeux, un peu comme un arc-en-ciel après un jour de pluie, à la différence que celui - ci était d'un vert émeraude qu'Annie n'avait jamais vu.
La plupart des gens auraient été scotchés face à une telle situation. Pas Annie ROSSE : la moutarde lui montant alors dangereusement au nez, elle fonça vers sa porte d'entrée, dévala les escaliers si vite qu'elle manqua de s'étaler, et se dirigea droit vers la boutique du Doc. Elle avait en tête pleine les pires insultes qu'elle comptait bien lui balancer à la figure, avant de lui ordonner de monter récupérer la saloperie qu'il lui avait imposée. Elle flanqua un coup de pied d'une telle violence au premier nain de jardin qu'elle croisa que ce dernier se brisa lourdement au sol. Des passants lui jetèrent des regards scandalisés, mais Annie n'en avait cure : elle comptait bien régler ses comptes avec le Doc. Elle lui cracherait au visage, lui grifferait les joues, lui arracherait ses cheveux blancs un par un jusqu'à ce qu'il la supplie de...Elle évita de justesse la collision avec la porte close de la boutique. Sa montre affichait 7H40. A cette heure - ci, la boutique du Doc était habituellement déjà ouverte, et les clients se bousculaient au portillon. Au lieu de cela, le store était baissé et à part Annie, il n'y avait pas âme qui vive aux alentours. Une petite note, scotchée au store, indiquait : « En tournée pour expertise ». Aucune autre explication, sur la date de retour du Doc par exemple. A l'idée de se farcir le miroir pour une période indéterminée, Annie ROSSE fulmina. Elle remonta au 3e à toute vitesse, récupéra ses affaires non sans couler un regard noir au miroir en sortant, et redescendit. En partant, elle frappa rageusement, armée de son sac à main, sur le premier nain de jardin qu'elle croisa, et éclata d'un rire presque fou lorsque celui - ci se fracassa en mille morceaux sur le sol. Puis, elle poursuivit son chemin, sans remarquer le regard effrayé que lui jeta la petite fille aux cheveux tressés depuis le trottoir d'en face. Bouleversée par la scène, la petite fondit en larmes en s'apercevant qu'elle en avait laissé tomber sa sucette.